« Les Cavaliers » de Kessel ou l’épopée d’un monde assassiné

L’ÉPOPÉE D’UN MONDE EXÉCUTÉ

Ci-dessus : Joseph Kessel.


En 1967, Joseph Kessel écrit « Les Cavaliers », roman épique barbare et foisonnant, publié par Gallimard. On lit d’un trait les cinq cents quarante-six pages de ce roman du courage incandescent et des ravages de la trahison, dont les héros sont un cavalier et un cheval de légende, Jehol, « le cheval fou », si étroitement soudés l’un à l’autre que leur vies mêmes sont liées. Mais ce centaure dépasse tout ce que l’Antiquité avait imaginé, le cavalier, Ouroz, dans une course à l’abîme qui est tout le sujet du livre, s’est fait scier une jambe gangrénée qui l’aurait conduit à la mort.

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Roberto Alagna « Le Chanteur », CD

« Le Chanteur », c’est le titre du disque de Roberto Alagna, sorti le 23 octobre 2020. C’est celui d’une chanson de Serge Lama et Alice Dona, avec laquelle le ténor commence le CD (Sony) qu’il consacre à quinze titres de la chanson française.

Sur ce montage, qui n’est pas la couverture du disque, la carte de France, à l’encre de Chine, est le travail d’un jeune dessinateur, Pablo Raison, en 2019.
J’ai pris la photo de Roberto Alagna à Monte-Carlo, pendant une répétition de « Luisa Miller » (voir l’article sur le site).



Bien qu’il soit aussi un autre (sinon plusieurs autres), le chanteur de la chanson, c’est lui. Il lui ressemble. Ses fans rêvent de lui : « Il nous fait croire un moment /Qu’il est devenu notre amant ». Ils sont venus de partout, décidés à l’entendre quoi qu’il en coûte, résignés à l’attendre des heures « les deux pieds dans la boue », consentant même à ne voir qu’un petit morceau de lui, s’ils doivent se contenter des mauvaises places lorsque les bonnes sont déjà prises : « on en verra que la moitié/ Mais la moitié qu’on verra/ On s’en contentera », entretenant le rêve fou que leur idole : « Nous emportera chez lui/Pour effeuiller nos mémoires,/ Nos visages d’un soir ».

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France Culture : Entretien entretien avec Jacqueline Dauxois sur « Le Mémorial des anges oubliés »

« Un livre contre l’instrumentalisation de la religion, le fanatisme et l’intégrisme ».
Alexis Chryssostalis

« Le mémorial des anges oubliés est un roman dont le sujet, cruel et malheureusement terriblement actuel, traite de la barbarie dans laquelle peuvent parfois plonger certaines personnes, des jeunes, voire des adolescents, vulnérables donc par définition, parce que la société dans laquelle ils vivent, y compris leur entourage proche, n’a pas pu ou n’a pas su leur donner les repères culturels, intellectuels et spirituels équilibrés et solides dont chacun de nous a besoin dans la vie ; les héros du Mémorial des anges oubliés sont nombreux, issus de tous les milieux, d’origines et de religions diverses ; ce livre parle de la descente aux enfers progressive d’une jeune fille de 15 ans, mais il commence et finit par des paroles qui ouvrent sur l’espoir. »
Alexis Chryssostalis

ÉCRIRE

Je suis un écrivain, je n’existe que pour écrire, c’est de l’encre qui me coule dans les veines avec les pulsions du clavier de l’ordinateur. Si vous me découpez le cœur, vous y trouvez des livres.
Le 3 octobre 2020, une chaufarderresse m’a tué la promotion de celui-là.

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RENCONTRE AVEC LE BARYTON RICHARD RITTELMANN

2020, l’Opéra équestre.

Le 11 juillet 2020, alors que les mesures destinées à circonscrire la covid-19 assassinaient la culture, fermaient jardins, librairies, disquaires, musées, cinémas, théâtres et Opéras comme non essentiels, nous traitant tous, non en personnes, mais en tubes digestifs, alors que depuis des mois, on n’entendait plus que de la musique en conserve, que même le Sud, avec ses Carnavals brutalement interrompus, était lugubre, le baryton Richard Rittelmann, dans un château, près de Grasse, a donné un concert en chair et en os. C’était le premier que j’entendais depuis 5 mois.

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Alagna/Chorégies 2021/ La mort de Samson

La mort de Samson, héros biblique, est si extraordinaire qu’on s’en souvient encore après des millénaires, même si on a oublié le caractère légendaire d’un héros antique désigné par les anges au moment même de sa conception, qui tua, dans sa jeunesse, un lionceau à mains nues et qui, ayant pour seule arme une mâchoire d’âne, vainquit, seul, une armée de Philistins.


Ce qui, grâce à Saint-Saëns, reste ancré dans les mémoires, c’est la trahison de Dalila, prostituée sacrée de la race ennemie, qui causa sa perdition puisqu’il lui livra le secret de sa force, trahissait pour elle le secret qui le liait à son Dieu.

Aveuglé, et jeté en prison, les cheveux de Samson ont repoussé.

Les yeux crevés, il retrouve la vue de l’esprit, comme saint Paul plus tard sur le chemin de Damas. Au fond de l’abîme où il croupit, tournant la meule comme une bête, il retrouve les yeux intérieurs. Il demande grâce, non pour lui mais pour Israël. Dieu l’exauce et Samson fait s’écrouler le temple de l’idole Dagon entrainant le peuple Philistin avec lui dans sa mort.

L’image est christique (celles que propose la mise en scène aussi). Le sacrifice apporte le salut. En mourant, Samson sauve Israël, comme le Christ sur la Croix sauve le monde.

© Jacqueline Dauxois

Les photos ont été prises pendant plusieurs répétitions y compris la pré-générale du 5 juillet 2021.

À suivre : « Le rôle de l’ange dans la Bible, l’opéra de Saint-Saëns et la mise en scène de Jean-Louis Grinda – et ce qu’en fait Roberto Alagna » et « Le troisième Samson de Roberto Alagna, le plus bouleversant et le plus tragique des trois ».

Alagna/Chorégies 2021/ Samson et Dalila/ Le duo de l’amour menteur : Mon coeur s’ouvre à ta voix

Le mardi 5 juillet 2021, soir le la pré-générale de « Samson et Dalila » aux Chorégies d’Orange, les promesses des répétions sont tenues, la mise en scène de Jean-Louis Grinda poétique, lyrique et inspirée rend compte, pour notre temps, de l’univers biblique. Dans cet écrin, le troisième Samson de Roberto Alagna est le plus bouleversant et le plus tragique qu’il ait donné.

LE DUO

Loin d’être un intermède amoureux distrayant dans une austère histoire biblique, le duo de l’acte II est la matérialisation de la guerre des dieux qui opposa et oppose encore le Dieu d’Israël aux idoles. Dalila était probablement la grande prêtresse d’un culte où le déchaînement sexuel collectif était considéré comme une approche initiatique et sacrée de la divinité, dont Babylone fut l’archétype vilipendé par la Bible comme la « grande prostituée » où régnait Ishtar ou Astarté, déesse de l’amour et de la guerre qui présidait à ces cultes orgiaques.

Dans ce contexte, il est impossible de limiter le duo à une la ruse suprême de Dalila pour perdre Samson, le chef dont les victoires militaires inversent la situation et font d’Israël un peuple debout non plus des esclaves des Philistins. À travers deux puissants, tous les deux placés au plus haut de la hiérarchie sociale de leurs peuples, s’affrontent les divinités féminines de l’amour charnel et les exigences du Dieu d’Israël, Dieu des combats et Dieu jaloux, qui veut être adoré sans partage.

Le duo de l’amour menteur, est celui de la haine irrépressible de Dalila pour le vainqueur qu’elle a hypocritement célébré, car si le Dieu d’Israël l’emporte, elle, qui régnait comme grande prêtresse de Dagon, n’est plus rien. Les causes politiques et sociales de sa haine s’accroissent d’arguments religieux. Elle sert un dieu honni par celui d’Israël et, plus Samson tente de l’émouvoir en évoquant son peuple, ses responsabilités, ses serments, sa fidélité à son Dieu, plus la haine de Dalila grandit jusqu’à lui inspirer le chant sublime de la sirène « mon cœur s’ouvre à ta voix » auquel aucun Samson au monde ne pourrait résister.

Vaincu d’avance, et il le sait, il est venu pour succomber et se livrer à elle dans un combat à mort où le vaincu sera l’ultime vainqueur.

© Jacqueline Dauxois

Roberto Alagna dans « Samson et Dalila »aux Chorégies d’Orange

2021 l’année Alagna aux Chorégies d’Orange

Pendant que son troisième Samson se prépare, on sait déjà qu’une fois encore cette année sera une année Roberto Alagna. Une de plus, mais cette année est tellement exceptionnelle alors que nous émergeons à peine, secoués par une apnée de quinze mois de privation de culture vivante, sans savoir vraiment ce que sera l’avenir menacé par des variants du Covid-19.


Le 10 juillet, un mois jour pour jour après le concert de la renaissance au Festival de Saint-Denis, il sera Samson (Marie-Nicole Lemieux, Dalila) et il reviendra le 24 pour un concert Verdi avec Ludovic Tézier et Ildar Abdrazakov.

C’est là, devant ce mur où, depuis sa première jeunesse sa carrière s’est imbriquée avec sa vie personnelle, qu’après sa prise de rôle à Vienne et la reprise du Metropolitan, son troisième Samson, annulé par la pandémie l’année dernière, enfin, se prépare aux Chorégies d’Orange. Ce soir, après la pré-générale, on en saura davantage, mais déjà les répétitions annoncent un spectacle lyrique où l’imagination n’est pas en guerre avec le sujet, un écrin idéal pour exalter le troisième Samson de Roberto Alagna.

© Jacqueline Dauxois