« Fedora » ou le retour d’Alagna à la Scala avec Sonya Yoncheva dans le rôle titre, octobre 2022

 

 LA GÉNÉRALE DU 12 OCTOBRE 2022



C’est le retour d’Alagna à la Scala.

Octobre 2022, quatre spectacles : une générale ouverte le 12, et le 15, 18 et 21 octobre 2022, trois représentations. Absent pendant seize ans d’une maison d’Opéra qui aurait dû ne pas cesser d’être l’une des siennes, il revient incarner un personnage fait pour lui, qu’il n’a jamais joué : le comte Loris Ipanoff dans Fedora. Prise de rôle aussi pour Sonya Yoncheva, interprète du rôle titre, qui a été à Madrid, en concert, sa Juliette.

MISES EN SCENE DE  GIORDANO, DE L’ANDREA CHENIER  DU ROH À LA FEDORA DE LA SCALA

Il y a quelques années, à Londres, le Royal Opera House lui a offert, pour Andrea Chenier, un Giordano plus fréquemment joué que Fedora, la mise en scène de nos désirs (qui sont peut-être aussi les siens) : respect de l’œuvre, beauté des décors et des costumes, harmonie des mouvements de groupes.

Après l’Andrea Chenier de Londres, dont la mise en scène reconstituait un monde en créant un support pour le rêve, quelle Fedora allait surgir de cette nouvelle production, retardée de deux ans par la Covid 19, pour le retour d’Alagna ?

 Il est devenu tellement banal qu’une mise en scène rende tout banal, qu’on se contente qu’elle ne soit « que » banale comme cette Fedora à qui on reconnaît le mérite de ne pas chercher le scandale, mais qui éradique tout ce qui pourrait évoquer l’histoire écrite par Victorien Sardou (auteur aussi de Tosca), mise en musique par Giordano sur un livret d’Arturo Calauti. Plus de XIXème siècle, plus de Russie, surtout pas de Sainte Russie, plus de nobles remplacés par Monsieur et Madame tout le monde. Au décor, moderne bric à brac du premier acte, avec une télé qui donne un match, succèdent trois autres, palais, villas, chalets qui ont l’avantage d’être épurés.

Modernes et élégants au premier et deuxième acte (on dirait qu’Alagna porte l’un de ses vêtements de concert), les costumes empirent au troisième. Jean et baskets. En tête de ceux qui déplorent ces affublements, Emidio Poletti, présent le soir de générale, qui habilla à la ville les plus grands de Kraus à Alagna, lorsque, à ses débuts à la Scala, il chantait La Traviata, La Bohème et Macbeth.

ROBERTO ALAGNA ET SONYA YONCHEVA

Le public est venu pour eux et ce sont eux, les chanteurs, qui sauvent une mise en scène vide.

Deux rôles secondaires excellents,, Serena Gamberoni, la comtesse Olga Soukarev et George Petean, de Sirex, on les connaît, l’une, avec sa grâce physique et vocale l’autre avec sa sûreté donnent de l’épaisseur à leurs personnages.

En dépit de longueurs, d’explications entortillées qu’on sauterait volontiers, « Fedora » commence en majeur, continue et s’achève en majeur.

Entre deux parenthèses de mort.

Seule, pendant tout le premier acte où Loris n’apparaît pas, l’intensité du chant de Sonya Yoncheva impose cette grandeur tragique dans laquelle, dans le seul registre dramatique, Sarah Bernhard triompha en son temps.

L’entrée de Fedora, à l’acte I, c’est l’entrée dans la tragédie.
Celle de Loris, à l’acte II, c’est l’entrée dans l’amour avec l’un des airs les plus célèbre du répertoire : Amor ti vieta.

AMOR TI VIETA

Amor ti vieta di non amar.

La man tua lieve che mi respinge

cerca la stretta della mia man.

La tua pupilla esprime « t’amo »

se il labro dice « non t’amerò ».

L’ amour t’interdit de ne pas aimer.

Ta douce main qui me repousse

Cherche l’étreinte de la mienne.

Ton regard dit : « Je t’aime »,

 tes mots prétendent : « Je ne t’aimerai pas ».

Amor ti vieta, ces cinq lignes de chant, si attendues, provoquent les transports. Plus loin, d’autres arias du ténor, de toute beauté aussi, ne déclenchent par le même enthousiasme. C’est qu’ Amor ti vieta contient le thème musical central de l’opéra, dit Roberto Alagna ; c’est aussi que, sur le plan sémantique, cet air exprime le cœur des sentiments complexes et déchirés qui vont conduire à la mort de l’héroïne. Enfin, cet air entraîne ceux de Loris seul qui passe de la joie à l’espoir, du doute à la souffrance insupportable et les duos qui s’enchaînent jusqu’à la fin, tous plus passionnées et poignants les uns que les autres.

Les airs de Loris s’élèvent vers le bonheur et sombrent dans la détresse et le désespoir ; les duos forment une prodigieuse chevauchée à deux voix, l’une enlaçant l’autre dans une harmonie qui s’exalte, s’emballe jusqu’au fond de l’âme dans une étreinte fusionnelle,

comme deux encolures ruisselantes, deux crinières qui s’emmêlent dans la course à l’abime et les visages rapprochés, les bouches qui exaltent des sons aussi somptueux et profonds semblent deux bouches appartenant à un seul être.

SORTIE DES ARTISTES

Ci-dessus : Roberto Alagna avec Emidio Poletti, Marco Armiliato, George Petean, Sonya Yoncheva et Serena Gamberoni.

© texte et photos Jacqueline Dauxois

Alagna à New York, promenade en zigzag autour de deux « Tosca », le 31 octobre et le 4 novembre 2022

Dans New York flamboyaient les couleurs de l’été indien, les aiguilles des tours s’inclinaient doucement vers leur reflet inversé dans les eaux du lac ; le matin, entre voitures hennissantes et camions rugissants, les chevaux des calèches, aux cochers décoiffés, piaffaient aux feux rouges pour gagner leurs emplacements à touristes aux entrées du Park ; torse nu, un new yorkais promenait deux chats de race en laisse, sages comme des écureuils, les oiseaux se laissaient photographier sans broncher ; à 10 heures, la file d’attente devant le Moma s’étalait, de l’entrée du musée jusqu’à l’angle des avenues – il suffisait d’attendre midi pour tranquillement passer et contempler le meilleur de l’art moderne un peu du pire aussi à travers une architecture dont les volumes s’ouvrent sur la ville comme des éventails ; c’est tout juste si le soir se couvrait de manteaux légers, surtout la nuit où une pluie hâtive a brillé sur les trottoirs.

Le seul endroit où il aurait pu avoir froid, c’était au théâtre, à Broadway, qui donnait « The phantom of the Opera », et où la clim gelait.

Il était à New York pour « Tosca ».

En mars 2022, avec Alekandra Kurzak dans le trôle titre, ils avaient donné ensemble, avant une « Bohème » à Puerto Rico, 4 représentations, sauf erreur de ma part, ce qui fera, c’est selon, une de plus une de moins, rions-en ensemble avec les correcteurs de maisons d’éditions, le 2, le 5, le 9 et le 12. Depuis le 4 octobre, Aleksandra avait repris une série de 9 représentations, sauf nouvelle erreur de ma part, Roberto venant la rejoindre pour les deux dernières, le 31 octobre et le 4 novembre de cette même année.

Dans mes zig zag se trouve une insolite photo.

Comment est-elle venue se caler entre les autres ? Les miennes, elle qui n’est pas de moi ? Je ne sais.

Elle représente Mario torturé trainé dans le bureau de Scarpia. Vu d’une place d’orchestre, ,les jambes d’un sbire de Scarpia le cachent parfois entièrement. Mais un instant, alors qu’il est tombé à genoux, on l’aperçoit entre une cuisse massive en uniforme et la main du soldat. De cette main, d’un bleu de métal de mort, recroquevillée, les doigts crochètent le visage pâle et torturé de Mario. À frissonner d’horreur.

Plus tard, j’ai compris. C’était un envoi d’Halloween, New York s’adonnant d’enthousiasme à ces festivités. Je n’ai pas détruit la photo, je ne la détruirai pas avant d’être certaine qu’elle n’apporte rien (elle n’apporte rien… à moins que ce ne soit cette vision qui fait claquer des dents à Mario lorsque la rafale va lui faire lâcher la lanterne). Je ne la posterai pas. C’est compliqué ? Vous trouvez ? Mais je n’ai jamais prétendu que c’était simple d’être écrivain et photographe.

En attendant un article que je posterai peut-être sur les morts de Mario, ci-dessous le lien pour le post sur mon site web en mars :

https://www.jacquelinedauxois.fr/…/au-metropolitan…/(ouvre un nouvel onglet)

© Jacqueline Dauxois

Roberto Alagna et les six morts de Mario Cavaradossi, Met 2022

UN HÉROS STENDHALIEN

Mario Cavaradossi, le héros qui meurt six fois en Roberto Alagna au cours de cette série newyorkaise (4 spectacles en mars 2022, 2 à l’automne, six mois plus tard), appartient à une génération qui fascina tellement Stendhal que personne ne s’étonnerait de trouver son histoire dans les « Chroniques italiennes ».

Mais qui est-il ? 

Un peintre amoureux d’une cantatrice renommée, Tosca (acte 1), enflammé secrètement pour les idées de liberté répandues en Europe par les armées de Bonaparte.
Un artiste célèbre puisque les autorités pontificales, certainement informées de ses choix politiques, lui ont commandé non un sujet secondaire, mais une Marie-Madeleine, la plus grande sainte de la chrétienté, « égale aux apôtres » (« Marie-Madeleine », Jacqueline Dauxois, Flammarion 1998).

Tombé entre les mains de Scarpia, chef de la police pontificale (acte 2), Mario défie le pouvoir qui pactise avec l’occupant autrichien faisant claquer comme un drapeau son rêve immense qui le conduit à la mort (acte 3). Il le sait.

Il le dit au début de l’acte 3 dans l’un des plus beaux airs de de ténor qui semblent avoir été écrits pour Alagna « E Lucevan le stelle ».



DU LUCEVAN À LA RAFALE

E lucevan le stelle,

Ed olezzava la terra

Stridea l’uscio dell’orto

Ed un passo sfiorava la rena.

Entrava ella fragrante,

Mi cadea fra le braccia.

O dolci baci, o languide carezze,

Mentr’io fremente le belle forme

Disciogliea dai veli !

Svani per sempre il sogno moi d’amore.

L’ora è fuggita, e muoio disperato !

E non ho amato mai tanto la vita !

Et brillaient les étoiles

Et embaumait la terre

La porte du jardin grinçait

Et un pas glissait sur le sable.

Elle entrait parfumée

Et tombait dans mes bras.

O doux baisers, o languides caresses,

Je tremblais découvrant sa beauté

En écartant ses voiles!

Il sombre pour jamais mon beau rêve d’amour.

Le temps à fui, et je meurs désespéré !

Et jamais je n’ai tant aimé la vie !



Avant d’être fusillé, pendant quelques minutes, il est seul, debout, en face du peloton. Au lieu d’une croix, les soldats lui ont mis dans la main une lanterne pour qu’il éclaire lui-même son exécution, rendue plus tragique par l’abandon de Tosca. Elle est là, pourtant, présente mais si absente, l’ayant abandonné deux fois, en tuant Scarpia (on pourrait peut-être discuter si c’est un abandon) et puisqu’elle est persuadée que l’exécution sera un simulacre, gavant son amant de conseils à la résonance insupportable tant ils sont décalés de la réalité : la mort qui s’approche de Mario. Ici, l’abandon ne se discute plus. Mario le sait puisque, pas une fois, pendant ces « instants suprêmes », son regard ne cherche celui de Tosca. Il quête tout autre chose.

Pendant les quelques minutes où il attend la mort, il ne se passe rien, les soldats arment les fusils et vont tirer. Mario attend avec sa lanterne. Le ténor n’a rien à chanter et rien à faire qu’à attendre, sa lanterne à la main. Il pourrait ne rien se passer.
Dans ce temps vide, Roberto Alagna, comble un vide et engage un dialogue muet, dans lequel Alagna acteur répond à Alagna ténor du début de l’acte. Comment peut-il, lui qui n’a jamais attendu qu’un peloton l’exécute, accéder et nous faire accéder à cette attente de la mort que nous allons vivre tous, un jour.



Pendant « Lucevan », lorsque Mario lève les yeux, on peut dire qu’il regarde dans les étoiles son rêve d’amour qui le transportait au paradis des amants. À la fin, où il ne regarde jamais Tosca, mais le Ciel, c’est autre chose que cherche son regard dans une quête d’autant plus extraordinaire que, dans la logique du désespoir, qui est refus de Dieu, comme le Condamné du dernier jour (« Le Dernier jour d’un condamné », David Alagna, d’après Victor Hugo), il refuse l’assistance d’un prêtre.

Mais que ce prêtre, dont il ne veut pas, lui présente la Croix, (sauf, une fois, la troisième), il embrasse la croix et prie. Il rejette la religion, émanation d’un pouvoir politique oppresseur. C’est Dieu qu’il veut, lui, qui exerce son art dans une église de Rome au moment où il est arrêté.


Pendant lsix « Lucevan », le Mario d’Alagna avait les yeux dans les étoiles. Le sixième soir, son regard a exprimé une volupté païenne, il y cherchait peut-être une image idéale de l’union d’Éros (o dolci baci, o languide carezze) et Thanatos (muoio disperato) qui va se résoudre, au moment de l’attente de la mort.

Cette attente de la mort qui est une scène vide.
Dans ce vide, Alagna en Mario, six fois, creuse le contraste avec « Lucevan » et introduit ce désespoir qu’il ne montrait pas lorsqu’il le chantait. Qui donc manquait.

Cet écho, d’habitude zappé, cette inversion, cette complétude, a acquis toute sa puissance le dernier soir, dans une transe poétique au lyrisme halluciné qui transporte Mario du désespoir à l’espoir.



2022 AU MET, LES SIX ATTENTES DE MARIO, QUATRE EN HIVER DEUX AU PRINTEMPS

Dans le premier spectacles de l’hiver, le Mario d’Alagna évoque un oiseau affolé, les pattes dans la glu, qui se débat, cherchant à échapper au piège mortel. Effroi brut, viscéral, primitif des animaux de Pompéi, qui savaient avant leurs maîtres que la mort approchait.
Au deuxième, ses tempes battent, les veines de son cou s’enflent, mais, lui, comme il empoignerait un cheval au mors, de toutes ses forces, contient les sentiments qui le dévastent, attitude socratique qui s’affirme le lendemain dans une attente, la plus paisible de toutes. C’est la seule fois où il n’a pas embrassé la Croix, mais s’est incliné pour prier, la seule aussi où il a gardé les yeux clos tout le temps. Sans rien chercher à l’extérieur de lui-même sur la terre ni au ciel.

Dehors, cette nuit-là, il neigeait de petits flocons roides et piquants.

La quatrième attente de Mario est un retour au piège du premier soir, mais plus rien en lui n’évoque alors un oiseau captif. L’instinct animal a disparu. C’est un homme totalement conscient, l’Homme innocent qu’on a englué, qu’on va assassiner, qui ne veut pas mourir. Qui sait qu’il va mourir. Et garde les yeux ouverts.

Chaque nuit, en sortant, on se disait qu’il ne pouvait pas donner davantage, que revenir serait risquer cette plénitude, seulement c’est lui, on revenait, bien sûr.

Il ne le fera pas ensuite, mais au creux de l’hiver, quatre fois, alors que, de la main gauche, il est obligé de soulever lui-même la lanterne pour que les soldats le visent bien dans l’obscurité, il soulève aussi l’autre bras, évoquant le Christ en croix.

Pendant les deux nuits d’automne, six mois après les quatre premières, il n’a plus besoin d’extérioriser une image christique et le crescendo, dont on croyait que le quatrième soir d’hiver marquait le terme, se révélait un palier dans la montée vers le sixième et dernier soir de la série.

Le dernier soir, donc, il fut l’ incarnation de la poésie lyrique venue de la nuit des temps, Apollon et Dionysos confondus, et celle du pari de Pascal. Comment il a fait ? On ne sait. Que savait-il, lui, de ce dont il rendait compte, ce soir-là ?  Comment la vérité était-elle en lui si profondément, absolument, totalement inscrite, pour ressurgir avec l’évidence d’une pareille spontanéité ? Il révélait les doutes, le désespoir et le jaillissement de l’espoir de notre humaine condition en face de ce qui nous attend, après : le néant ou l’absolu sacré.

En quelques instants sur scène, il a récapitulé sur son visage, l’intuition millénaire de la mort et de l’au-delà qui, depuis l’« Antigone » de Sophocle, traverse la littérature profane et sacrée. Nous agonisions tous avec son Mario. Comment pouvait-il vivre sur scène ce qu’il n’a pas vécu ? Il ‘y avait plus de scène. Comment peut-il avoir une conscience aussi profonde de la mort qui approche et révéler une vérité à ce point universelle à travers le particulier ? C’est le cœur du mystère de son art, qui le rend capable de montrer, à travers les minutes de supplice vécues par son héros, l’homme, toute l’humanité, placé devant la mort imminente. Il a exploré ce moment six fois (sans parler de toutes les autres qui ont précédé cette série) pour, le dernier soir, atteindre une révélation partagée avec son public.

LE CHANT ET LE SILENCE



Son regard glissait de l’effroi intolérable, les yeux égarés, ses dents, qu’on n’avait jamais vues les cinq autres fois, paraissaient grincer de désespoir. Il fouillait les étoiles. Interrogation. Il questionnait le Ciel. Doutes. Avant l’éclair de feu, au fond de ses yeux, il y a eu une flamme autre. Mario, ignorant peut-être ce que c’était, faisait le pari de Pascal. Refus du néant. Pari que Dieu existe. Nous en frissonnions. Un éclair encore dans ses yeux. C’était la prière du bon larron sur la croix. Peut-être. Sûrement.

C’est ainsi que cette nuit du 4 novembre 2022, Roberto Alagna fut le phare qui a conduit la salle dans un (sans lui) inatteignable ailleurs. Chacun a vu ce qu’il voulait/pouvait, chacun a pris son rayon de lumière.

Très jeune ce soir-là, les vieux ayant renoncé à être des vieux, le public recevait avec passion-, porté, transporté, déporté par Alagna jusqu’à l’âme d’un peintre, qui n’a rien d’un mystique mais qui, confronté à son heure dernière, jette tout son être dans l’avant-mort et, du désespoir halluciné (muoio disperato), nous étions tous mourants et tous désespérés, ayant levé des yeux fous de terreur, nos larmes se pleuraient, entrevoyait l’espoir d’un Ciel prêt à le recevoir. Ses yeux basculés vers la voûte céleste, brûlant du désir de la voir s’ouvrir, lançaient dans le silence, le cri de victoire de l’Acte II, mais il appelait une autre victoire, son regard suppliait comme le bon larron, et, à l’instant de la rafale, le silence de Mario proclamait : « Mort, où est ta victoire ? » Nos cœurs battaient avec le sien. Les balles foudroyaient le héros d’Alagna qui est aussi le nôtre.

©Jacqueline Dauxois

(On peut lire les trois textes indépendamment, néanmoins voici les liens pour les deux articles qui précèdent :

https://www.jacquelinedauxois.fr/2022/03/11/au-metropolitan-aleksandra-kurzak-et-roberto-alagna-dans-tosca/(ouvre un nouvel onglet)

https://www.facebook.com/profile.php?id=100032304622591  )



Les doubles faux adieux du Trouvère des Chorégies en 2015

Les doubles faux adieux du second Trouvère des Chorégies, en 2015.

Retransmission Covid des Chorégies d’Orange

Il a dit qu’il faisait ses adieux à Orange avec le second Trouvère qu’il donnait aux Chorégies. Il ajoutait qu’il reviendrait si on lui proposait quelque chose d’exceptionnel.

Un second Trouvère aux Chorégies, pour lui, ce n’était rien d ‘exceptionnel. Pour le public, c’était une déception, non qu’il ne soit un Manrico idéal, mais on espérait Samson et Dalila, une prise de rôle, qui a été écarté pour des frisons commerciales. La prise de rôle a eu lieu à Vienne dans une mise en scène très attaquée, que je défend et que je préfère à d’autres

Jean-Louis Grinda n’a pas des oreilles de sourd.
Jeune et passionné, il a proposé Samson à Alagna. Le spectacle était prévu il y a un mois à peine, le 1° juillet. C’est devenu la plus tristes des habitudes, hôtel, transport et spectacle annulés. Lorsqu’on voit les entassements au cuisse à cuisse, sur les plages vautrées, dans les cafés, les restaurants, les bousculades dans les rues piétonnes et commerçantes, on se demande vraiment pourquoi. Ils ont voulu discriminer les vieux, ils discriminent la musique, la danse et le théâtre.
L’abominable Covid a tout arrêté. Il est train de nous démolir la vie. J’ai conscience de bénéficier d’un énorme privilège en rencontrant de jeunes chanteurs et, dans quelques jours, un grand violoniste, mais ceux qui n’ont pas cette chance et pas envie non plus de se consoler en faisant la cuisine ou en grillant au soleil, que deviennent-ils en ce moment?

 Samson est reporté d’un an. Et en attendant, que fait-on ?

Au dernier chapitre de Quatre Saisons avec Roberto Alagna :   « Il Trovatore, les adieux à Orange, sconto col sangue mio », j’ai parlé des « adieux » d’ Alagna à Orange après son second Trouvère aux Chorégies.

À la fin du dernier chapitre, je faisais moi aussi mes adieux.
La tristesse était partout. Je ne voulais pas rentrer. Il était parti avec ses amis. Après lui, tout le monde est parti. Je n’y arrivais pas. Je restais au bord de l’hémicycle vide. Les machinistes démontaient. L’un d’eux m’a demandé si je voulais rester. Je lui ai fait signe que oui. Allez où vous voulez, faites attention aux câbles, par terre. Le démontage du rêve a duré pendant des heures. Je suis restée sur la scène longtemps, après, je suis allée sur les gradins, dans le bruits des marteaux, j’écrivais, je n’ai rien changé, c’est la fin du livre :

« Il (Roberto Alagna) a emporté Otello, il a emporté Marico. Ils sont à lui et, ici, plus jamais… Rien, il n’y a plus rien, rien. Un livre, peut-être, oui peut-être, si un éditeur change en livre un fichier word (1).
Les pieds du dernier machino sont entrés dans le champ de la caméra imaginaire… l’homme a dit, c’est fini, on s’en va. Je me suis retournée pour la dernière fois :
« Addio ».
Les pierres m’ont envoyé le retour :

   « Ora e per sempre addio » (2).

Dehors, contre les lourdes grilles, la roulotte attendait d’être embarquée. »

L’éditeur, Le Rocher, m’avait accordé deux cahiers photos ce qui est exceptionnel. J’ai publié quatre de ce spectacle dans le livre.

(1) D’habitude, j’écris quand j’ai un projet accepté, un éditeur et un contrat. Là, j’ai inversé.
(2) (Otello, II, 5)