Aux premiers accords de l’ouverture de Samson et Dalila, dans l’obscurité, un ange apparaît au fond du plateau ; minuscule, illuminé il se détache du mur immense et s’avance jusqu’au bord du plateau. C’est un enfant fragile sous ses boucles blondes, torse nu. Belle, émouvante, troublante, l’image renvoie au texte biblique.
Les parents de Samson se désolaient de leur stérilité lorsqu’un ange du Seigneur leur annonça une naissance prochaine. L’apparition était si terrifiante dans sa magnificence que les parents se jetèrent a face contre le sol. Dans l’opéra, lorsque Samson évoque les anges, il n’est question que de puissances redoutables :
« Je vois aux mains des anges
briller l’arme de feu,
et du ciel les phalanges
accourent venger Dieu.
Oui, l’ange des ténèbres
En passant devant eux,
Pousse des cris funèbres
Qui font frémir les cieux ! »
Alors pourquoi Jean-Louis Grinda choisit-il un enfant au lieu d’un adulte inquiétant ?
Il ne s’agit sans doute pas d’épargner la sensibilité des gradins des Chorégies, mais la mort de Samson préfigurant celle du Christ, cet ange, qui évoque Jésus enfant tel qu’on le représente dans l’imagerie traditionnelle, crée le lien entre le monde Samson et le nôtre.
En créant un véritable rôle muet pour son ange, le metteur en scène éclaire l’opéra d’un jour nouveau.
C’est l’ange, qui à la première scène de l’acte I, désigne Samson dans la foule des Hébreux. Lui, terrifié comme l’ont été tous les prophètes de l’Ancien Testament qui savaient le sort qui les attendait, tombe par terre d’effroi, se relève pour s’incliner devant le Messager. Il n’a pas le choix, il ne l’a jamais eu. Dès sa conception il a été nazir, consacré à Dieu par ses parents, voué, entre autres, à ne jamais couper sa chevelure foisonnante, secret de sa force surhumaine.
L’authenticité du jeu d’Alagna est si convaincante que, dès ces premières images, le spectateur, ne voit plus un ange mais l’envoyé céleste porteur de la parole divine.
Rarement, dans une mise en scène si difficile à réussir, metteur en scène et interprète ont réalisé un si complet accord.
A l’acte II, c’est l’ange encore qui désigne à Samson la demeure de Dalila, manifestant à quel point la volonté de Dieu peut se montrer étrangère à la morale conventionnelle puisque l’instrument du salut est l’une de ces Philistines que Samson aime depuis sa jeunesse, ce qui rend la situation inextricable : Dalila est une grande prêtresse des cultes orgiaques qui sont une abomination pour le Dieu d’Israël et c’est son ange qui pousse Samson dans ses bras. Le salut d’Israël ne passe pas ici par le respect des lois, mais par la plus scandaleuse des transgressions.
A l’acte III, Samson les yeux crevés, objet de dérision dans le temple de Dagon dont les Philistins célèbrent le triomphe, en serrant contre lui l’ange, comme le Christ serrait saint Jean lors de la Cène, puise la force de demander à Dieu la mort pour lui le salut pour son peuple. Comme il lui a désigné le chemin de la demeure de Dalila, l’ange le conduit entre « les piliers de marbre » et c’est devant lui, messager de la volonté de Dieu, qu’avant de mourir, Samson s’incline une dernière fois.
Ci-dessus, l’écroulement du temple de Dagon.
Vu par Jean-Louis Grinda, l’ange exterminateur dans Samson et Dalila est aussi l’ange du salut, conception qui n’est pas très éloigné de l’apocatastase selon Boulgakov, suivant lequel, le Jour du Jugement, tous les hommes seront sauvés, tous les péchés détruits et qui est superbement illustré par cette mise en scène raffinée, nouvelle et en total accord avec le sujet.
La création de l’ange apporte un éclairage si évident après coup, qu’on se demande comment on a pu se passer de cette créature ailée jusqu’ici et justifie la proposition généreuse de Roberto Alagna de venir aux saluts en tenant l’ange par la main.
La beauté des éclairages, des décors, costumes et accessoires, le refus de l’orientalisme de pacotille, la recherche dans la mythologie zoomorphe de la Mésopotamie et l’archéologie crétoise, l’utilisation du mur à l’état brut, sans rien qui le surcharge ou dénature, les éclairages lyriques et une unique vidéo montrant la destruction du temple sans mettre le ténor en danger (on se souvient que la cause de la mort de Caruso fut la chute d’un élément du décor de Samson et Dalila), l’incarnation d’Alagna au sommet d’un art dont on se demande comment il peut sans cesse l’approfondir, tout contribue à la perfection de cette production si longtemps attendue.
Ci-dessus, les saluts, Samson et son ange.
Ci-dessus, Jean-Louis Grinda, directeur des Chorégies d’Orange et metteur en scène de Samson et Dalila.
© Jacqueline Dauxois
P.S. Les photos ont été prises au cours de différentes répétitions.