Articulé autour de la recherche interminable d’un appartement, le premier livre de Paul Besson, « Paris-Saint-Denis » (Lattès 2019), raconte l’exil qui le conduit de Paris, où il espérait se faire un nom, à la banlieue de Saint-Denis. Le regard qu’il jette sur ces deux univers entre lesquels, faute d’argent, il fait le grand écart, le livre tout entier : philosophe, comédien, guitariste, compositeur de musique, vendeur de vin au salon du Chocolat, faisant tous les métiers pour se cacher aux yeux des autres derrière des images accumulées et s’avouer à lui-même qu’il n’arrive pas à gagner sa vie d’artiste à laquelle il aspire.
C’est dans cette faille en lui, qui le pousse à boire et fumer, que se révèle un personnage nostalgique et tendre, qui, parvenu aux rives de la trentaine, considère le monde avec une inlassable curiosité et son début de calvitie avec quelque inquiétude. Il connaît la défonce, l’alcool et la déprime et n’a pas attendu de se retrouver à Saint-Denis pour souffrir du mal du siècle, lui qui se définit comme « un riche chez les pauvres, un petit-bourgeois chez les prolos », ce qui est bien sûr plus compliqué, sinon il n’en aurait pas fait un livre.
Tout le long de sa chasse à l’appartement, entreprise avec son amie lorsqu’il n’en peuvent plus l’un et l’autre de vivre à deux dans un 18 m2 parisien, Paul Besson ouvre des doubles fenêtres : d’un côté sur son passé, ses études à la Sorbonne, de l’autre sur son présent à Saint-Denis qu’il décrit comme personne ne l’a fait avant lui, avec empathie, captant le quotidien avec la précision d’un objectif, zoomant et dézoomant sur les images qu’il fait défiler : Noirs, Arabes, Blancs, coiffeur génial, bobos, vendeurs à la sauvette, IPhones de contrebande, kebabs, odeur de brochettes, joints, Leader Price et Stade de France. Il entremêle son récit d’humour, de dérision, d’inquiétudes… s’attardant sur des scènes qui le surprennent, flaschant sur un passé fascinant dans lequel il cherche peut-être des racines lorsqu’il raconte ce que fut la ville royale dans le passé.
De ses rêves brisés et de ceux qui renaissent, ne surgit rien de laid ni de crasseux, il a fait plus que s’habituer à sa banlieue qu’il raconte au quotidien, avec des mots justes, tendres et tristes qui, décrivant ses villes, parlent autant de l’auteur. Il faut l’entendre évoquer son amour pour le théâtre lorsqu’il il joue des pièces pour les enfants, l’écouter avouer, quand il exerce un de ces petits métiers pour lesquels il est si peu fait : « Cette terreur glaçante. Alors ce sera ça peut-être ma vie ? Vendre de la bière dans un Leclerc à quarante-cinq ans ? » Lui qui n’a pas peur des autres dans une banlieue incertaine, redoute l’avenir sans désespérer de faire connaître sa musique et d’en vivre.
Aux dernières pages, avec un coup de chapeau à son père, mon célèbre voisin, qui lui conseille d’écrire, Paul Besson ouvre sur le renouveau de son espoir d’exister autrement, dans une autre musique : celle des livres. Et dans ce monde de l’écriture, les notes qui s’échappent de ce « Paris-Saint-Denis », sont davantage qu’un espoir : le ton de ce premier livre est celui d’un écrivain.
© Jacqueline Dauxois