Salut après la répétition générale
Les 2 , 6, 10 et 13 mai 2017, au Metropolitan Opera de New York, Roberto Alagna incarne Cyrano de Bergerac, musique d’Alfano, connu pour avoir achevé Turandot après la mort de Puccini, livret d’Henri Caïn, d’après Edmond Rostand.
Du rire au larmes, du resplendissement de ses aigus à l’éclat soyeux de ses médiums , Alagna est Cyrano jusqu’au fond de son âme. Cette version, la version originale de l’œuvre, est sienne au point que le nom d’Alagna figure sur le livret édité par Ricordi. Il est le seul à la chanter. À la création, en 1936, à l’Opéra de Rome, José Luccioni l’ayant trouvée trop difficile, des phrases que devait chanter Cyrano ont été attribuées à Roxane. Alagna, lorsqu’il a interprété l’œuvre en 2003, à Montpellier (DVD Universal 2005), a voulu le texte original. Il l’a voulu de nouveau au Metropolitan. Ici même, Plácido Domingo, qui fut Alfredo, et qui est devenu cet extraordinaire Germont père qu’on a vu à Orange il y a deux saisons, qui dirige Don Giovanni qu’on donne en alternance avec Cyrano, a chanté l’autre version en 2005.
Trois ans plus tôt, alors que j’écrivais le livre, j’avais travaillé aux Archives du Met.
Roberto Alagna répétait Carmen et j’étais au milieu des dossiers. Cette année, j’assiste aux répétitions.
Cyrano pendant le siège d’Arras. Une corde d’acier délimite la scène. Alagna, dans ses vêtements de ville, porte déjà le baudrier et, près de lui, sur un caisson de munitions, il a posé le grand chapeau de Cyrano. Ci-dessous la même scène, pendant une répétition en costumes.
En attendant de porter l’uniforme qui lui tient chaud, entre deux moments du siège d’Arras, contre la climatisation endiablée, alors que dehors il fait 29 degrés et que le soleil joue avec les massifs de tulipes, il est allé dans sa loge enfiler son blouson.
Lorsque commencent les répétitions en costumes, on le grime et maquille.
On voit, en haut du faux nez, une trace brillante, et une marque à la narine droite qui seront effacées par le maquillage. On lui colle la barbe.
Les objets aussi sont émouvants.
Sur sa table, le nez dont il ne veut pas. Il dit que c’est celui de Pinocchio, il veut celui de Cyrano.
Kevin Hagen a photographié Alagna dans sa loge avec le nez qu’il ne portera pas. Photo publiée par le New York Times du 1° mai 2017, veille de la première représentation publique.
Sur le piano, sa perruque.
Sur la banquette, ses vêtements et le chapeau de Cyrano.
Alagna plongé dans sa partition.
Avant de quitter sa loge, il avale un tourbillon de nuages.
Et, sur scène, il devient Cyrano.
Il va triompher non pas dans Cyrano mais parce qu’il est Cyrano,
Cyrano qui se bat ,
qui écrit …
Cyrano amoureux…
…et Cyrano qui meurt.
Ci-contre, dans le costume de la mort de Cyrano, le bandeau sanglant sur la tête, Roberto Alagna répète toute la scène du balcon.
Après la générale, ci-dessous, à l’entrée des artistes, Roberto Alagna et le chef Anton Coppola qui a fêté ses cent ans le 27 mars 2017. Oui, l’appareil a buggé, il a fait un tableau au lieu d’une photo, pourquoi pas ?
Le matin de la première, l’affiche de Cyrano dans le hall. Au fond, la boutique, à gauche, cachés par les affiches, les guichets.
Dès la première, ce fut l’ovation debout. Roxane pleurait, Cyrano était très ému. Une nuit (comme pour son Roméo de Londres où il avait reçu une pluie de fleurs), il a neigé sur lui du paradis (les derniers rangs du family circle, ces places bon marché situées juste sous le plafond d’où l’on voit moins bien mais d’où on entend si bien) une averse de petits papiers blancs, qui voletaient jusqu’à ses pieds, descendaient en valsant vers cette voix qui s’était élevée dans les aigus les plus périlleux, les avait tenus avec une facilité à peine croyable, plus soyeux et dorés que le rideau de la scène. Et il a chanté en se battant à l’épée avec un agilité d’adolescent dans un costume auquel ne manque pas un bouton de guêtre, mais lourd, dans lequel il suffoque.
Vocalement, avec son aisance royale, Alagna se joue des difficultés accumulées dans Cyrano . Sur le plan dramatique, un mois plus tôt, il donnait à Paris un don José cœur d’artichaut, amoureux de Micaëla, fou de Carmen, ivre de sensualité, succombant à toutes les tentations. Son Cyrano est la parfaite incarnation de l’amour accompli dans le non accomplissement, le héros d’un amour courtois qui dépasse toutes les exigences du genre. Ce sentiment est si absolu et si fort en lui qu’en l’exprimant sur scène, nez ou pas nez, son Cyrano est beau de cette beauté extraordinaire qui craque les frontières traditionnelles du beau.
Pour la générale, le Met m’a attribué les meilleures places. Suspendue toute seule au-dessus de la scène, de la fosse, de la salle. A mes pieds, à gauche, le prodigieux rideau, la fosse, la salle où se tenaient les professionnels et les photographes accrédités.
Pour la première, je n’ai pas demandé l’autorisation de photographier, j’ai pris quelques photos pendant les applaudissements, lorsque c’est autorisé pour tout le monde. Avant le début du spectacle, j’ai focalisé sur le rideau dont les courbes, en haut, jouent avec les pétales du plafond, ce rideau de légende, vu de face, est géant,
et l’on aperçoit dessiné dans ses plis, comme un filigrane, un grand V qui le parcourt. C »est la couture où passent les cordons qui permettent de l’entrouvrir pour le passage des artistes. De près, on voit bien cette fronce du tissu.
Là, devant ce somptueux plissé d’or, Roberto Alagna est venu saluer avec Jennifer Rowley, Roxane …
…et Atalla Ayan, interprète de Christian.
Dehors, dans la nuit, les affiches montent la garde sur l’esplanade du Lincoln Center vidée de ses derniers spectateurs.
© texte et photos Jacqueline Dauxois.
Les photos de Roberto Alagna ont été prises pendant les répétitions.
un plus sur le travail et le jeu d’Alagna qui compléte et enrichit les « Quatre
Saisons ». Et que confirme sur son site le Met avec quelqes extraits vidéos de ce Cyrano de Bergerac et de son succès.