Hasard ou nécessité, c’est le lendemain d’un spectacle organisé à Èze, le 16 août 2020 (1) et quelques jours après les versions concert de Cavalleria rusticana données à Palerme les 9 et 11 août par le couple, que le Met a diffusé un enregistrement de Tosca.
LA MISE EN SCÈNE DE LUC BONDY
La mise en scène, de 2013, est de Luc Bondy, trop tôt disparu, il y a cinq ans.
Roberto Alagna et Patricia Racette, Metropolitan Opera, 2013.
À l’époque de cette Tosca, la collaboration Bondy/Alagna avait déjà produit un spectacle d’anthologie : le Don Carlos du Châtelet, en 1991.
La Tosca du Met porte la même griffe : celle d’un lion qui renouvelle un sujet sans jamais le trahir et dont chaque invention est un approfondissement en totale cohérence avec la musique. Au service des œuvres qu’il sert, le travail de Bondy, qui comble les « trous » du livret, rejoint celui d’Alagna.
Tosca c’est un trio. Avec Patricia Racette, Roberto Alagna et George Gagnidze, Bondy a eu trois chanteurs comédiens capable de créer sur scène cette unité qui fait la réussite d’un spectacle.
Tosca
Belle et jolie, Patricia Racette a la capacité, comme Alagna, de changer avec son personnage d’un acte à l’autre. Ce ne sont pas seulement ses vêtements qui sont différents. Son allure et son visage se modifient et la transforment. Elle est jalouse, et Mario le dit : « mia gelosa », mais si elle ne l’était pas en voyant l’homme qu’elle aime peindre le portrait d’une autre en Marie-Madeleine, elle serait anormale. Tout le contraire d’une harpie, elle met de l’humour dans sa demande de lui changer la couleur des yeux. C’est une femme amoureuse et tendre qui va devenir une tueuse.
Si elle prend le couteau, c’est qu’elle est aux abois. Elle a tout essayé pour échapper au double piège qui se referme sur elle et Mario.
Elle se déteste d’avoir commis un geste criminel, si éloigné de son caractère et de ses convictions (« Vissi d’arte », je vis pour mon art), qu’elle est tentée de se jeter par la fenêtre. Mais elle est chrétienne et pieuse. Elle vient d’assassiner un homme et n’ajoute pas péché mortel sur péché mortel.
Lorsqu’elle se précipite du château Saint-Ange, ce n’est pas un suicide au sens strict. Elle se jette parce que son amant est mort et qu’elle va être capturée. Lorsque cette femme amoureuse et artiste, tue ou meurt , c’est qu’elle ne sait plus comment échapper à l’horreur. Or, elle vient de voir comment la police a torturé son amant, elle sait ce qui l’attend. Comme tant d’autres l’ont fait dans un cas pareil, comme Pierre Brossolette, qui s’est lancé à travers la fenêtre pour échapper aux tortionnaires de la Gestapo, elle choisit la mort. Le suicide de Tosca n’en est pas plus un que lorsque les prisonniers des Twin Towers se jetaient dans le vide lorsque les vitres éclataient sous la température infernale.
Roberto Alagna et George Gagnidze, Metropolitan Opera, 2013.
Scarpia
Incarné par George Gagnidze, que sa stature et ses traits particuliers, rendent terrifiant (jamais autant que lorsqu’il sourit), Scarpia est présenté par Bondy comme un Béria, le sanguinaire jouisseur. Ce Scarpia-là est si vraisemblable que la scène avec Tosca prend toute sa cohérence.
Mario
Dans ce contexte de stupre et de sang, la torture de Mario, devient d’une réalité poignante. La porte qui conduit à la salle de torture est éclaboussée de sang. Lorsque les bourreaux le ramènent, c’est en le trainant dans un drap. Cette violence renforce l’attirance qu’il inspire et les gestes d’amour qu’il a pour Tosca, après l’avoir maudite pour sa trahison, sont bouleversants de vérité. Lorsqu’elle disait qu’elle « n’en pouvait plus », il n’était pas là, mais il comprend et pardonne. L’incomparable Mario d’Alagna donne à voir ici tout ce qui n’est pas écrit dans le livret, mais dans la musique.
Enveloppée dans ce même tissage d’amour, elle comprendra qu’il a été fusillé sans avoir besoin de s’approcher de lui.
Ce Mario, qui a été tellement présent dans la scène de torture où il est si peu sur scène, on le retrouve au commencement du dernier acte. Le rideau se lève et Bondy lui fait disputer une partie d’échec avec son geôlier, bien avant qu’il ne chante, cette scène muette rend la suite inéluctable. En l’absence du prisonnier, le geôlier triche pour le faire perdre, et lorsque Mario lui propose sa dernière bague en échange d’une lettre, on sait que l’autre lui a tout soutiré. Cette partie d’échec soutenue par les regards et le jeu de ce Mario qu’Alagna rend irrésistible ajoute une cohérence à l’histoire.
LE PORTEUR DES LÉGENDES DORÉES DU MONDE DE L’OPÉRA
La captation rend compte au mieux de ce spectacle, mais rien ne peut remplacer le direct et si, depuis sa première Tosca, Roberto Alagna est le Mario idéal, en mai prochain, il va en ajouter un encore à sa collection. On attend avec la plus grande impatience d’entendre cette voix en vrai dans un des rôles qui ont fait de lui ce qu’il est devenu : le porteur des légendes dorées du monde de l’Opéra.
Roberto Alagna en Mario, Metropolitan Opera, 2013.
© Jacqueline Dauxois
Images : d’après la captation du Met.
Notes :
(1) Ce concert fait partie d’une série, initiée par le Met. Les concerts se succèdent et son visibles douze jours. Contrairement au concert at-home, des professionnels font la prise de son et d’images. Le prix est de 20$, 17 €.
Les artistes du Met Stars Live in Concert :
Ci-dessous le Programme de Roberto Alagna et Aleksandra Kurzak chanté à Èze, auquel il faut ajouter, à l’entracte, la retransmission de « Ma mère je la vois », tiré de Carmen avec Aleksandra Kurzak.
Roberto Alagna et Aleksandra Kurzak ont chanté « Caro Elisir » pour « le concert at-home », à la « la nuit magique » d’Orange et à Èze.
Quel plaisir « d’entendre « dire que ceTosca du Met nous a émus et éblouis .Comme l’avait fait celui d’Orange et du ROH (j’y étais Jacqueline …) . Entendre chanter Mario-Roberto on ne s’en lasse pas. Je continue à penser que Tosca s’est suicidée. Pouvait-elle vivre après la mort de Mario ?