Lorsque la Covid nous a engloutis, Roberto Alagna était le Calaf triomphant de « Turandot » (février/mars 2020). La Staatsoper de Vienne frémissait de son vincerò qui rejoignait les autres vincerò de ses triomphes, mais déjà le monde tout entier se recroquevillait dans la peur, pire qu’un rat répandant la peste des grandes épidémies passées, comme dans le « Roméo et Juliette » (celui de Shakespeare pas de Gounod, Barbier et Carré), la Covid-19 provoquait la fermeture des Opéras, des villes, des pays et comme si ce n’était pas assez de comprendre que notre culture allait survivre désormais le couteau sous la gorge, alors même qu’il chantait une lointaine Chine cruelle, la réalité terroriste contemporaine ensanglantait, pour la punir, la ville qui, de Mozart, a fait un chocolat et de Napoléon II, l’Aiglon. Il a appris le carnage à l’entracte par un message sur son portable, il a tout de même terminé le spectacle (février/mars 2020).
Et maintenant, quinze mois après, c’est le retour.
Roberto est vivant et Alagna revient pour proclamer la vie.
Le 10 juin, il faudra toujours une dérogation pour être le nez au vent après 23 h le soir, mais qu’importe ! il chante dans la Basilique de Saint-Denis, le programme de notre renaissance.
De « l’Enfance du Christ », à « l’Ave Maria », il prie – même dans « l’Enfance », où il se fait le narrateur, il prie et sa prière rejoint celles que nous avons fait monter vers le Ciel pendant ces semaines qui se sont changées en mois et les mois en une année bien dépassée, tout comptes faits, il chante, il prie, il communie (il a dit que chanter, c’est prier, que chanter c’est communier, je ne sais plus quand, mais il l’a dit, c’est certain) et il nous fait communier au pain des anges, « Panis angelicus », l’un des trois motets de l’Office du Saint-Sacrement, et il supplie « Pietà Signore » avec Stradella, comme le faisait Caruso, de nous faire échapper aux tourments de l’enfer.
Lorsqu’il introduit l’Opéra sous les voûtes gothiques (il le fallait, on l’attendait, cela aussi) sous lesquelles Saint-Louis voulut faire ensevelir tous les rois et les reines de France, c’est en conservant le caractère sacré qu’il a voulu pour ce programme, avec le retour de Lohengrin à Monsalvat et Rodrigue car chaque fois qu’il a chanté la prière de Rodrigue, « Ah ! Tout est bien fini ! Ô Souverain, ô Juge… » on a cru assister à un miracle. À Marseille et à Garnier, la lumière tombait sur lui qui paraissait céleste. Pendant les répétitions, alors que la lumière n’était pas réglée, il avait aussice visage de lumière. La lumière du Cid en prière, c’est celle du Cid victorieux et ce n’est pas un hasard si, de tous les cris de victoire qu’il a poussé pour ses héros, c’est le triomphe sacré du Cid Campeador que Roberto Alagna vient évoquer au milieu des prières éternelles sous les voûtes de Saint-Denis.
L »Ave Maria »de Schubert, au centre du concert, et celui de Bach/Gounod qui le termine, placent cette nuit dans une ardente ferveur mariale.
C’est le programme qu’il a choisi pour son retour.
Jeudi soir, nous n’aurons jamais assez de mots pour le remercier ni de mains pour l’ovationner.
© Jacqueline Dauxois