Roberto Alagna, il vous fait des surprises. Le concert At-Home était très intrigant. Quand et comment a-t-il été organisé ? Comment a-t-il choisi le duo ? Est-ce qu’avec Aleksandra Kurzak, ils ont hésité avec un autre ? Comment ont-il fait un tel spectacle dans leur maison?
Ci-dessus : L’Elisir d’Amore, à l’Opéra de Paris.
Ils font leur entrée à l’écran, les deuxièmes, après un Don Giovanni accompagné à l’accordéon et, là, entre trois murs, le quatrième occupé par l’ordinateur posé sur une échelle, ils ont chanté, joué, bougé, utilisant quatre accessoires, créant une véritable mise en scène de poche autour de la Barbara.
D’abord seul à l’image, Nemorino chantait, dansait, jouait, savourait l’Elisir d’Amore « O, buono ! ». Avec un entrain décuplé par les rasades, le farfadet renversait la tête en arrière pour avaler au goulot lorsque soudain, créant la surprise, apparaissait en gros plan à l’écran le visage de lutin aux grands yeux de Vésuve.
Tout le duo a été mené sur ce rythme joyeux.
Aleksandra faisait des confidences à l’écran lorsque Roberto s’en allait vers le fond, derrière le piano. Nemorino jouait avec les accessoires, après la bouteille, une guitare avec laquelle, une fois, il rame avec comme un gondolier, un livre à couverture rouge qu’il tient d’abord à l’envers, remet à l’endroit jusqu’à ce qu’il termine, comme sur le plateau de l’Opéra, perché au sommet d’une échelle, lui au fond, Adina devant.
Photos : À la maison, en 2020, (décor noir et blanc, Alagna dans une veste élégante) et à l’Opéra de Paris en débardeur et petit chapeau effrangé, le même sourire, le même timbre, la même verve irrésistible, en 2015.
Il a toujours fait des mises en scène pour ses concerts, il ne supporte pas de rester sans rien faire de son corps pendant qu’il chante.
Avec Aleksandra, il a trouvé la partenaire idéale, sa femme, la mère de leur enfant pour nous faire partager une gorgée de gaieté de cet Elisir d’Amore qu’ils ont bu, à Londres, tous les deux, il y a quelques années. Ce duo pétillant, insouciant, heureux où leurs voix, qui jouent l’une avec l’autre, se moquent, se poursuivent, se fuient, s’accordent, s’accolent nous a fait retrouver le sourire des extrémités de nos solitudes.
Photo : À la maison, en 2020, l’entrée dans l’image d’Adina dans un chemisier de charme en harmonie avec les rideaux et à l’Opéra de Paris, le même charme dans les meules.
Ils ont pris tous les risques d’une véritable mise en scène en direct, sans aucun moyen de rattraper un geste ou une note.
Comment ont-il fait pour jouer la scène dans un salon ?
Je le lui ai demandé dans un message. Je lui ai envoyé trois questions. Je savais qu’il avait été débordé au début du confinement, mais en recevant « Crucifix, le soir du Vendredi Saint, j’avais imaginé qu’il l’était moins. Mais le matin du 28 avril, où le Figaro venait de lui consacrer une pleine page (1), alors qu’il est débordé parce que les journalistes, qui n’ont plus un spectacle à se mettre sous la dent l’appellent du monde entier, le téléphone a sonné. C’était lui, Aleksandra à côté de lui, il me parlait pour tous les deux et il me disait qu’il n’avait pas eu le temps de me répondre plus tôt (cela ne faisait que deux jours), mais quelles étaient les questions que je voulais lui poser ? Bien sûr, il le savait et comme il dit et fait toujours des choses étonnantes, il a dit qu’il m’appelait de la salle de bains, aussi tranquille que de sa verrière quand il annonçait avec Peter Gelb la rediffusion de son Don Carlo dans le cycle quotidien qui dure maintenant depuis 7 semaines. La salle de bain, ça veut dire que la journée est finie, qu’ils sont là rien que pour moi, comme à Milan, la première fois, tous les deux avec moi dans les aiguilles du Duomo.
Je voulais savoir comment le concert avait été organisé. Il m’a demandé comment j’allais faire, si j’écrivais ses réponses, mais à Aleksandra, qui lui posait la question, il a répondu que ça ne faisait rien, que ce n’était pas un entretien. Non, ce n’était pas un entretien comme on a l’habitude, je l’écoutais. Je tapais des mots pendant qu’il parlait. Je lui ai demandé, peut-être :
– Quand et comment avez-vous été pressentis pour ce concert ?
– L’idée ? Ça s’est passé très vite. Ils nous en ont parlé quinze jours avant. On leur a donné notre choix, ils ont accepté, on a répété pour la lumière et le son, on a improvisé avec eux, ils ont adoré. Ils ont demandé plus de lumière. Le jour J, juste avant New York, on a fait un direct avec la Pologne, on va faire un concert avec la Pologne, tu pourras le voir sur YouTube.
« Pour l’accompagnement, ils nous auraient envoyé le son. Mais notre voisine est pianiste. Je la connais depuis les Pêcheurs de Perles au TCE ; depuis un an, elle est installée près de nous.
– Avez-vous hésité entre plusieurs duos ?
– On a pensé au dernier duo de Don Carlo. Ils vont se revoir dans l’autre monde. Mais l’Elisir, c’est notre rencontre. Nous avons eu l’idée de passer l’un après l’autre devant l’écran. 50°/° a été improvisé en direct. Si tu enlèves le son et tu regardes (j’enlève le son quand c’est lui qui chante ? mais alors j’ai perdu l’esprit), c’est un vrai film muet, c’est formidable d’avoir utilisé l’espace en largeur et en profondeur avec les apartés au public à travers l’ordi. On a déplacé tous les canapés, on a mis des lampes halogènes pour ajouter de la lumière, elles éclairaient le plafond, on a ajouté des caches en faisant des sortes de projecteurs et on a créé un petit théâtre.
-Vous êtes arrivés à entrer et sortir de l’image comme vous le vouliez…
– … alors qu’on ne se voyait pas, on se voyait à l’écran.
– Pour le décor, au fond, entre les fenêtres, il y avait la photo d’un théâtre et au-dessus un tondo avec une photo de vous.
Ci-dessus : les photos envoyées par Roberto, à gauche, sur le mur, la maquette et le disque se reflètent dans le piano, au centre le disque en vinyl, à droite, la maquette avec Cyrano qui salue.
– Le théâtre est une maquette et il y a un personnage qui salue, c’est moi en Cyrano. Au-dessus, c’est un dessin sur le Puccini in love en vinyle. Je vais te faire les photos et te les envoyer.
-Comment avez-vous choisi vos vêtements ?
-Aleksandra ne savait pas quoi mettre, elle s’est changée cinq fois, c’était trop habillé, pas assez et elle a trouvé un chemisier en accord avec les rideaux, pour faire une atmosphère hyper plaisante, elle s’est fait un look dolce vita et moi j’avais mon tee shirt « Monsieur ».
– La veste cachait la moitié des lettres, j’essayais de savoir ce qui était écrit.
– Eh bien, c’est Monsieur.
– L’étiquette de la bouteille était cachée aussi.
– J’ai cherché une bouteille, j’ai trouvé cette bouteille en osier.
– Avec de l’eau ?
– Du Xérès ! Une goutte m’est passée dans la gorge, j’ai failli m’étouffer. Et ensuite, Aleksandra fait taire Nemorino chante O sole mio, en donnant un coup sur la guitare.
– Sur l’échelle, tu as un pied sur le piano ? et si tu étais passé à travers?
– J’ai tout le poids sur l’échelle. »
Je voulais poster les deux échelles : celle de l’Opéra de Paris, qui était côté jardin, et celle de leur bibliothèque, côté cour. Face à face, pied conte pied, elle auraient formé le V de la victoire, chacune avec son Nemorino. Mais je n’ai pas obtenu d’images correctes en photographiant mon écran.
Ci-dessus, les échelles de « la Barbara » : chez lui, celle de sa bibliothèque,
et à l’Opéra, une échelle de jardin à rallonge.
-Raconte encore.
-À la fin, Malèna voulait nous apporter des fleurs. Elle devait applaudir et nous donner le bouquet. Quand on a fini, elle a oublié. On lui a demandé pourquoi elle n’était pas venue, elle a dit que c’était tellement impressionnant et elle a pleuré. On a refait la fin et on a sauvé la petite prestation de Malèna.
Photos ci-desssus : dans le couloir des loges, Malèna dans les bras d’Aleksandra qui sort de scène où elle incarne Adina. Sur la couverture de mon livre elle est dans ceux de Roberto à Orange où il incarne son premier Otello.
Après, nous avons regardé la suite du concert. Ce son pas trafiqué, on entendait les vraies qualités de voix et les timbres des uns et des autres. On était très excités, Malèna s’est endormie à deux heures du matin et nous à six. »
Voilà comment, tous confinés, eux et nous, ils nous ont donné un régal de joie et de gaieté avec cet Elisir d’Amore qu’ils ont bu, à Londres, tous les deux, il y a quelques années.
Ci-dessus : Roberto Alagna avec « La Lettre à Malèna » et Jacqueline Dauxois, photo prise par Marinelle Alagna.
© Jacqueline Dauxois
Note (1), Le Figaro, mardi 28 avril 2020, Roberto Alagna : Il faut remette à plat notre modèle, propos recueillis par Thierry Hillériteau.
Pour en savoir plus :
© Jacqueline Dauxois
Avec quelques minutes d’un confinement eclairé par des voix superbes , Jacqueline écrit un véritable roman .C’est là qu’on voit la pâte de l’écrivain
Thanks for helping out, great information. « The laws of probability, so true in general, so fallacious in particular. » by Edward Gibbon.